Êtes-vous victime d’une cascade de prescriptions ?

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Par Camille Gagnon, Janet Currie et Johanna Trimble

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Qu’est-ce qu’une cascade de prescriptions ?

Une cascade de prescriptions peut se produire lorsque vous et/ou vos professionnels de la santé ne réalisez pas que de nouveaux symptômes sont en fait des effets secondaires causés par l’un de vos médicaments. Lorsque cela se produit, un professionnel de la santé peut à tort vous diagnostiquer une nouvelle condition médicale et vous prescrire un nouveau médicament pour traiter les effets secondaires du premier médicament.

Ce nouveau médicament peut également causer des effets secondaires. Lorsque vous et/ou vos professionnels de la santé interprétez ces effets comme étant une autre condition, cela peut conduire à encore plus d’ordonnances. Le résultat ? On peut finir par prendre une cascade de nouveaux médicaments qui ne sont pas nécessaires et qui peuvent nous nuire.

Pour chaque médicament que l’on prend, il y a un risque d’effet secondaire. Plus on prend de médicaments, plus on augmente le risque d’effets secondaires. Chaque fois que vous ressentez de nouveaux symptômes, vous et vos professionnels de la santé devez d’abord déterminer s’ils peuvent être causés par les médicaments que vous prenez. Cela permettra d’éviter un problème commun et évitable appelé la cascade de prescriptions.

L’histoire de Mme Jobin

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Mme Jobin, âgée de 75 ans, avait remarqué certains changements au cours des derniers mois. Le soir venu, il lui était difficile de tomber endormie. Elle avait l’impression de passer des heures à se retourner dans son lit, les yeux grands ouverts. Pourtant, sa routine de retraitée était restée intacte : elle voyait ses amis, pratiquait la marche au quotidien et faisait bien attention de limiter le café. Ses médicaments n’avaient pas changé non plus : elle prenait depuis quelques années déjà des médicaments contre la dépression, le cholestérol élevé et la haute pression.

En espérant pouvoir bien dormir au moins pour quelques jours, Mme Jobin s’acheta une petite boîte de somnifères (Sleep-Eze®) sur le plancher de la pharmacie, médicament qu’elle essaya le soir venu. Sans trop de succès. Elle passa un certain temps à attendre le sommeil, mais conclut tout de même qu’il
valait la peine de poursuivre cet essai pour encore quelque temps. Au cours des jours qui suivirent, Mme Jobin remarqua qu’elle avait la bouche très sèche, ce qui la forçait à garder un verre d’eau sur la table de chevet. Le matin, elle se réveillait aussi un peu étourdie – comme si son cerveau était dans la ouate ! Elle nota également qu’elle était plus constipée qu’à l’habitude. Son sommeil, lui, n’était à vrai dire pas tellement meilleur... un peu embêtée, Mme Jobin décida de consulter sa pharmacienne Nadia pour parler de ces nouveaux symptômes, en plus de ses problèmes d’insomnie qui ne s’amélioraient pas.

Après avoir écouté Mme Jobin lui raconter les événements des derniers mois, Nadia lui indiqua que les problèmes de bouche sèche, de constipation et d’étourdissements étaient probablement causés par la prise de ce nouveau somnifère acheté à la pharmacie. Puis, après avoir révisé son dossier, elle lui indiqua qu’il était aussi possible que ses problèmes d’insomnie soient causés par un de ses médicaments réguliers contre la dépression, le bupropion.

« En traitant un effet secondaire possible d’un médicament avec un nouveau médicament, on crée ce qu’on appelle une cascade de prescriptions. Par exemple, ici, il est possible que vous ayez voulu traiter l’insomnie causée par un de vos médicaments, le bupropion, avec un nouveau médicament, un somnifère. On aurait affaire à une cascade de prescriptions. » Mme Jobin était perplexe. Elle prenait le bupropion depuis plus de deux ans, à la même dose. Était-il possible que des effets secondaires apparaissent après un aussi long moment ? La pharmacienne répondit clairement : « Oui. Un effet secondaire peut apparaître n’importe quand. »

 
La cascade de prescriptions de Mme Jobin.png
 

Identifier les effets secondaires pour prévenir les cascades de prescriptions

En augmentant le nombre de médicaments que l’on prend, on augmente aussi notre risque de souffrir d’un effet secondaire. C’est ce qui est arrivé à Mme Jobin, qui en prenant un médicament pour traiter son insomnie, s’est retrouvée avec de nouveaux effets secondaires (bouche sèche, constipation et étourdissements). Heureusement, suite à la consultation avec sa pharmacienne, les effets secondaires ont été reconnus. Pour éviter les cascades de prescriptions, la clé est d’identifier lorsque de nouveaux symptômes sont en fait des effets secondaires de certains médicaments.

Lorsqu’on suspecte qu’un symptôme est causé par un médicament, considérez la déprescription avec votre professionnel de la santé. La déprescription est la réduction de dose ou l’arrêt d’un médicament de façon planifiée et supervisée. Le but de la déprescription est de maintenir ou d’améliorer la qualité de vie.

Quelques exemples de cascades de prescriptions :

Quelques exemples de cascades de prescriptions.png

Que pouvez-vous faire pour prévenir les cascades de prescriptions ?

Il n’est pas toujours facile d’identifier les cascades de prescriptions, car elles peuvent durer des années et impliquer des conditions médicales, des symptômes et des médicaments différents. De nombreux symptômes, tels que la fatigue, la confusion, les étourdissements et les chutes, peuvent en fait être des effets secondaires des médicaments, et non un signe de vieillesse ou une nouvelle condition médicale. Ces effets secondaires peuvent entraîner des hospitalisations et affecter votre vie et votre bien-être. Voici cinq choses que vous pouvez faire pour prévenir les cascades de prescriptions :

  1. Posez des questions. Vous remarquez un nouveau symptôme chez vous ou chez un proche ? Demandez à un professionnel de la santé : « Est-ce que ce pourrait être un effet secondaire causé par mes médicaments ? ». N’assumez pas que votre médecin, votre pharmacien ou votre infirmière est au courant de tout. Si vous avez un doute spécifique par rapport à un médicament, posez la question !

  2. N’oubliez pas les médicaments sans ordonnance. Les médicaments sans ordonnance et les produits de santé naturels peuvent aussi causer des effets indésirables et des cascades de prescriptions. Le somnifère qu’a pris Mme Jobin n’en est qu’un exemple. N’oubliez pas d’inclure ces produits sur votre liste de médicaments et d’en informer vos professionnels de la santé.

  3. Restez vigilant et faites réévaluer vos médicaments régulièrement. De nouveaux effets secondaires des médicaments peuvent apparaître après plusieurs mois, voire plusieurs années à prendre le même médicament à la même dose. Même si sur papier, rien n’a changé, votre corps et votre état de santé changent avec le temps, ce qui peut affecter la façon dont notre corps traite les médicaments. Assurez-vous d’effectuer une révision de vos médicaments au moins une fois par année, et à chaque fois qu’il y a un changement dans vos médicaments.

  4. Considérez la déprescription. Lorsqu’on identifie une cascade de prescriptions, il est pertinent de se demander si on devrait considérer la déprescription, soit réduire la dose ou cesser le médicament. Si c’est le cas, on doit mettre en place un plan approprié en équipe avec un professionnel de la santé.

  5. Est-ce qu’il existe des alternatives ? Est-ce que d’autres traitements plus sécuritaires (médicaments ou pas) pourraient aider à traiter cette condition médicale ?

De retour à Mme Jobin

la cascade de prescriptions

Suite à leur discussion, la pharmacienne de Mme Jobin lui proposa de contacter son médecin de famille pour lui suggérer de diminuer la dose de bupropion, pour voir si son sommeil s’améliorerait. En attendant la réponse du médecin, elle lui recommanda d’arrêter de prendre les somnifères et lui remit une brochure éducative décrivant des stratégies prouvées efficaces pour mieux dormir, sans médicament.

Environ deux semaines après avoir diminué la dose de l’antidépresseur, Mme Jobin nota une amélioration marquée de son sommeil. Elle avait également apprécié les techniques décrites dans la brochure, qui encouragent un horaire de sommeil régulier et limitent les siestes. Mme Jobin était satisfaite. Sa conclusion ? À l’avenir, elle s’assurera de toujours demander « Est-ce que ce symptôme pourrait être causé par un médicament ? » à sa pharmacienne ou son médecin lors de l’apparition de nouveaux symptômes, pour éviter les cascades de prescriptions !

PARLEZ TOUJOURS À VOTRE MÉDECIN, VOTRE PHARMACIEN OU VOTRE INFIRMIÈRE AVANT D'ARRÊTER OU DE MODIFIER LA DOSE DE TOUT MÉDICAMENT.

À propos des auteures :

Camille Gagnon, pharmacienne clinicienne, est directrice adjointe du Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription. Son objectif : optimiser l’usage des médicaments dans la population en promouvant la déprescription des médicaments qui ne sont plus bénéfiques ou qui peuvent être nuisibles chez les personnes âgées. Elle travaille en clinique de santé familiale à réviser la médication et à prodiguer de l’enseignement aux patients. Elle a aussi travaillé en pharmacie communautaire de même qu’en gestion de programmes cliniques. Finalement, elle a œuvré comme enseignante de pharmacologie auprès de futurs techniciens en pharmacie.

Janet Currie est une travailleuse sociale impliquée dans la sécurité des médicaments et des patients depuis plus de 17 ans. Elle est particulièrement préoccupée par la sécurité et l'efficacité des médicaments en psychiatrie et leurs répercussions sur les aînés. Elle est ancienne coprésidente du Réseau canadien pour la santé des femmes et membre du Comité consultatif d'experts sur la vigilance des produits de santé de Santé Canada. Elle possède et gère un site Web sur la sécurité des médicaments psychiatriques et a souvent témoigné devant le Sénat canadien et le Comité permanent de la santé sur la surveillance des médicaments d’ordonnance et les effets nuisibles des médicaments. Elle termine un doctorat sur la sécurité des médicaments et l’usage des médicaments à des fins autres que celles approuvées par Santé Canada, à l’University of British-Columbia. Janet est membre exécutive et présidente du comité de sensibilisation du public du Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription.

Johanna Trimble est une défenseure des droits des patients et membre du BC Patient Voices Network. Elle est membre du sous-comité de soins gériatriques et de soins palliatifs du Council on Health Promotion for Doctors of BC. À titre de conférencière, elle enseigne à des étudiants en médecine de première année à l’University of British-Columbia au sujet de la gériatrie communautaire ainsi qu'à des étudiants en pharmacie, sur les problèmes liés à la médication dans les établissements de soins de longue durée. Johanna est membre active du comité de sensibilisation du public du Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription.

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