Les médicaments antidépresseurs (partie 2) : Quand et comment les arrêter en toute sécurité
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Auteur : Dr. David Gardner, professeur et directeur de recherche en psychiatrie communautaire du Département de psychiatrie de l’Université Dalhousie et membre exécutif du réseau
Prenez-vous ou connaissez-vous quelqu’un qui prend des antidépresseurs ? Est-il temps de penser à les arrêter ? Dans la première partie de cet article, nous avons exploré les avantages et les inconvénients potentiels des antidépresseurs. Dans cette deuxième partie, vous découvrirez quand et comment ces médicaments peuvent être arrêtés en toute sécurité.
Vous n’avez pas encore lu la première partie ? Consultez-la ici.
Rencontrez Céline et Hiroshi
Céline a 70 ans et vit seule. Physiquement, elle est en bonne santé. Elle se décrit souvent comme se sentant très seule. Elle a eu plusieurs épisodes de dépression au cours des vingt dernières années. Elle ressent également de l’anxiété qui s’intensifie pendant ses périodes dépressives. Certains de ces épisodes ont duré beaucoup plus longtemps et ont été plus sévères. Elle trouve très difficile de sortir de chez elle durant ces périodes. Elle a peu d’énergie, elle n’arrive pas à profiter de quoi que ce soit ou à envisager l’avenir avec plaisir, et elle ressent beaucoup de honte et de doute. Les antidépresseurs sont bénéfiques, mais cela prend généralement des mois avant qu’ils ne l’aident à aller mieux. Son dernier épisode dépressif a duré plus d’un an. Elle a essayé plusieurs antidépresseurs avant d’en trouver un qui fonctionnait et dont les effets secondaires étaient tolérables. Elle prend maintenant ce même antidépresseur depuis presque cinq ans. Lors d’une récente visite chez son médecin, elle a signalé que son humeur était globalement bonne, mais que ses émotions lui paraissaient quelque peu "éteintes".
Hiroshi est un ancien homme d'affaires de 67 ans, à la retraite depuis trois ans. Dans ses différents rôles professionnels, Hiroshi recevait fréquemment des clients lors de dîners, soupers et événements de golf qui incluaient souvent de l'alcool. Il était fier d’être occupé et utile. À sa retraite, il a continué à boire de l’alcool, mais son humeur et sa confiance en lui ont rapidement décliné. Encouragé par sa femme et son frère, Hiroshi a consulté son médecin de famille pour parler de ce qu'il ressentait. On lui a diagnostiqué une dépression, et on lui a conseillé de réduire sa consommation d'alcool. Un antidépresseur lui a été prescrit. Il a accepté de prendre et il a aussi décidé d’arrêter complètement l’alcool. Progressivement, sur quelques semaines, Hiroshi a remarqué une nette amélioration de son état. Un an plus tard, lors d’un rendez-vous chez le médecin, il a parlé de ses nouveaux passe-temps, de sa routine d'exercice, de sa satisfaction liée à la qualité de son sommeil et du plaisir qu'il prenait à aider sa famille. Il était heureux d’être à la retraite et a demandé si c'était le bon moment pour arrêter son antidépresseur.
Pendant combien de temps devrais-je prendre un antidépresseur ?
La durée pendant laquelle vous devriez prendre un antidépresseur dépend de plusieurs facteurs. Les plus importants incluent la gravité de l’épisode, le temps qu’il a fallu pour que les symptômes disparaissent, vos expériences antérieures avec la dépression ou l’anxiété, ainsi que vos propres préférences concernant la poursuite ou l’arrêt du traitement. Tout comme Céline et Hiroshi, chaque situation est unique. Si c’est la première fois que vous vivez une dépression, la recommandation générale est de poursuivre le traitement pendant au moins 6 mois après la disparition des symptômes.1,2 Pour la plupart des gens, il faut entre 3 et 6 mois pour obtenir une réponse complète au traitement. Cela signifie une période totale d’environ 9 à 12 mois avant d’envisager un arrêt. Cette recommandation s’applique également au traitement des troubles anxieux, comme le trouble d’anxiété sociale ou le trouble d’anxiété généralisée.3,4 Un grand nombre de personnes trouvent bénéfique de poursuivre les antidépresseurs sur le long terme, voire pour la vie. D’autres peuvent l'arrêter sans effets négatifs. Cependant, il existe des risques associés tant à la poursuite qu’à l’arrêt du traitement.
Quels sont les avantages et les risques d'arrêter les antidépresseurs ?
Il est très important de réévaluer régulièrement les bénéfices et les potentiels risques de continuer la prise d’un antidépresseur. On peut, par exemple, réévaluer le tout tous les six mois. Le moment exact pour effectuer cette révision est flexible et doit être planifié et discuté avec un professionnel de la santé, comme votre médecin, votre pharmacien ou votre infirmière.
Voici une liste de considérations importantes à prendre en compte lorsque vous décidez d’arrêter ou de continuer un antidépresseur qui fonctionne bien pour vous :
Les avantages d’arrêter : | Les risques d’arrêter : |
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Arrêter vos antidépresseurs peut soulager les effets secondaires persistants. Certains effets secondaires sont plus évidents, comme les troubles sexuels ou la somnolence en journée, tandis que d'autres peuvent passer inaperçus, comme l'engourdissement émotionnel. Les antidépresseurs peuvent aussi interagir avec d'autres médicaments ou substances, entraînant divers effets indésirables, allant dans certains cas jusqu’à l’hospitalisation. Arrêter un antidépresseur peut aider à réduire ce risque, particulièrement pour les personnes prenant plusieurs autres médicaments.
Cependant, arrêter un antidépresseur qui est efficace comporte deux conséquences importantes possibles : traverser une période de sevrage et risquer un retour des symptômes. Ces risques peuvent néanmoins être minimisés avec une planification et un suivi appropriés.
Sevrage des antidépresseurs
Les antidépresseurs diffèrent en ce qui concerne les symptômes potentiels de sevrage qu’ils peuvent causer. Par exemple, le bupropion entraîne peu de problèmes lorsqu'il est arrêté. En revanche, d'autres antidépresseurs peuvent provoquer une série de symptômes, souvent regroupés sous le terme de syndrome de sevrage. Ce phénomène est plus susceptible de survenir dans les cas suivants :
Arrêt brusque d’un antidépresseur utilisé sur le long terme.
Prendre des antidépresseurs de la famille des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN). Parmi les exemples, on trouve le citalopram, la duloxétine, l'escitalopram, la paroxétine, la sertraline et la venlafaxine.
Ces informations mettent en évidence l'importance d'un arrêt progressif et supervisé par un professionnel de santé pour minimiser les risques de symptômes de sevrage.
Des symptômes de sevrage courants des antidépresseurs incluent (5,6) :
Retour des symptômes
Les antidépresseurs, en plus de traiter la dépression et l'anxiété, diminuent aussi le risque de leur retour lorsqu'ils sont pris sur le long terme. C'est pourquoi les antidépresseurs doivent être poursuivis après la résolution des symptômes.7-9 En continuant à prendre un antidépresseur auquel vous avez bien répondu, vous réduisez d'environ de moitié le risque de retour des symptômes.7,9 Les avantages associés à la prise d'un traitement antidépresseur s'appliquent peu importe que vous l'ayez pris pendant une période brève ou prolongée.7,9 Pour certaines personnes, il est possible de réduire le risque de rechute en suivant une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) lorsque l'antidépresseur est arrêté.10 Une version spécifique de la TCC, appelée « thérapie cognitive basée sur la pleine conscience », est recommandée. Elle peut être commencée peu de temps avant de commencer à réduire progressivement la dose de l'antidépresseur. Les études montrent que compléter un programme de ce type de psychothérapie, associé à une réduction graduelle de la dose de l'antidépresseur, peut éviter le risque accru de rechute lors de l'arrêt d'un antidépresseur.11
Céline et Hiroshi
Chaque personne qui a déjà souffert d’une dépression présente un risque différent de rechute. De plus, ce risque peut changer au fil du temps pour une même personne. Selon ses expériences passées avec la dépression et d'autres facteurs, le risque de Céline de faire une nouvelle dépression est plus élevé que celui d'Hiroshi.
Céline a connu plusieurs épisodes de dépression dans le passé. Sa réponse au traitement peut être lente et, récemment, elle a rencontré des difficultés à trouver un antidépresseur efficace. Elle présente également des symptômes d'anxiété persistants, un facteur qui augmente le risque de dépression. Elle décrit aussi le sentiment que ses émotions semblent être un peu « engourdies ». Cela pourrait être un symptôme non résolu de la dépression, ou alors un effet secondaire subtil de l'antidépresseur. L'essentiel est qu'elle n'a pas eu de rechute dépressive depuis cinq ans, depuis que son antidépresseur actuel fait effet. Bien que l'arrêt de l'antidépresseur puisse l’aider à déterminer si c'est cela qui provoque l'engourdissement de ses émotions, il est possible que Céline préfère continuer son traitement pour réduire le risque de vivre un autre épisode de dépression.
Hiroshi a réduit son risque de dépression en arrêtant sa consommation d'alcool et s'est bien adapté à son statut de retraité. Son antidépresseur a été efficace. Il n’a eu qu'un seul épisode de dépression diagnostiqué dans sa vie. Son risque de rechute est relativement faible après l'arrêt du traitement en raison de son passé, et aussi de plusieurs facteurs qui le protègent de futurs épisodes de dépression, tels qu'un sommeil satisfaisant, de l'exercice et des connexions sociales solides.
Comment arrêter les antidépresseurs en toute sécurité?
Les antidépresseurs influencent la quantité et les actions des neurotransmetteurs dans le corps. Avec le temps, le corps s’adapte physiologiquement à leur présence. De la même manière, lorsque l’antidépresseur n’est plus présent dans le corps, des ajustements physiologiques se produisent en son absence. On pense que ce sont ces changements qui sont à l’origine du syndrome de sevrage. Dans la mesure du possible, l’arrêt d’un traitement antidépresseur doit être fait lentement pour permettre au corps de s’ajuster graduellement. Peu de raisons justifient un arrêt brusque des antidépresseurs. Un problème médical urgent peut en être une. Autrement, une réduction progressive et lente est fortement recommandée.5,12 Cela permettra d’éviter ou de minimiser les symptômes de sevrage. Il existe plusieurs méthodes pour réduire progressivement la dose et arrêter le traitement antidépresseur. Dans cet article, on catégorise ces méthodes en quatre méthodes principales (voir ci-dessous). Les Méthodes n°1 et n°2 s'appliquent à la plupart des personnes. Vous pouvez commencer par la Méthode n°1 ou n°2. Si vous commencez par la Méthode n°1 et éprouvez des difficultés, passez à la Méthode n°2 avant de passer à la Méthode n°3 ou n°4. Certaines personnes sont plus sensibles aux effets du sevrage des antidépresseurs et bénéficieront de l'utilisation des Méthodes n°3 ou n°4, qui sont plus complexes. Chaque méthode est décrite ci-dessous à l'aide d'un exemple d'une personne prenant 20 mg/jour d'antidépresseur.
Avant d’arrêter un antidépresseur, assurez-vous de consulter votre professionnel de la santé pour discuter et planifier la meilleure approche pour vous.
Méthode n°1 : L'escalier
Chaque réduction de la dose est identique et le temps entre les réductions de dose est le même.
Le schéma de la méthode de l’escalier
Exemple:
Semaine |
Dose (mg/jour) |
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20 |
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