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Est-ce que votre mère prend des médicaments?
par Johanna Trimble
Notre mère était heureuse, vivait de manière indépendante dans son appartement et était impliquée dans sa communauté. Mais en 2003, à l’âge de 86 ans, elle fut admise au Health Centre. La veille, elle avait demandé à sa fille de la mener à l’urgence. Lire la suite…
Par Johanna Trimble
Notre mère était heureuse, vivait de manière indépendante dans son appartement et était impliquée dans sa communauté. Mais en 2003, à l’âge de 86 ans, elle fut admise au Health Centre. La veille, elle avait demandé à sa fille de la mener à l’urgence : « J’étais faible et étourdie et je savais que je ne pouvais pas rester debout sans m’évanouir ». Elle avait la grippe mais pas de pneumonie. Elle était déshydratée et avait un faible taux de sodium. Elle a reçu un soluté intraveineux puis a eu son congé. Comme elle ne se sentait toujours pas bien, son médecin lui a suggéré de prendre quelques jours de rétablissement dans le Health Centre affilié puis de retourner chez elle.
La cascade médicamenteuse
Cependant, après son admission au Health Centre, son statut cognitif a décliné brusquement et de manière étonnante et elle ne fut pas retournée chez elle. Deux antidépresseurs ISRS différents ont été administrés sans consulter la famille. Le premier lui a donné des hallucinations. Au lieu de penser à une dépression, nous croyions qu’elle était affligée par sa perte : son appartement, son indépendance, sa vie privée et ses amis – sa vie.
Elle a commencé à être agitée, désillusionnée, et elle était incapable de distinguer les rêves de la réalité. Elle était « endormie » et difficile à réveiller même dans la journée. Ça ne ressemblait pas à une sieste normale. Elle évoluait de manière inexplicable, avait des mouvements répétés de son bras, une transpiration soudaine, des épisodes d’accélération cardiaque et un manque de coordination. Ce n’était pas Maman!
Elle prenait dorénavant neuf médicaments, et l’équipe médical disait « ce n’est vraiment pas beaucoup »! Après l’avoir observée et écouté attentivement pendant ses moments de lucidité, alors qu’elle était capable de nous parler de ses symptômes, nous suspections que les médicaments pouvaient être la source du problème. Nous avons découvert qu’elle avait peut-être le « syndrome sérotoninergique » causé par les interactions médicamenteuses.
La déprescription
Notre famille s’est rencontrée afin de coordonner notre approche. Nous avons fait des recherches puis nous avons rencontré l’équipe médicale dans le but d’obtenir un « congé de médicaments ». Nous avons réussi. Le psychiatre du Centre avait récemment fait une visite et a prescrit du donépézil pour une « démence vasculaire ». Nous avons refusé le médicament, lequel avait des effets néfastes possibles et seulement un faible bénéfice statistique avec aucune garantie d’un effet clinique. À ce moment-là, nous avions demandé à l’équipe médicale de ne prescrire aucun médicament que nous n’aurions pas approuvé.
Le « congé de médicament » a rapidement ramené Maman sur le plan cognitif! Complètement! Son état mental était revenu à la normale, elle était mieux physiquement et pouvait se lever. Elle s’est améliorée au point où nous pouvions la sortir en chaise roulante pliable et l’amener à son restaurant préféré pour manger des huîtres et boire du vin blanc. Ceci nous a procuré à tous une grande joie. Elle avait 3 années de plus de bonne vie malgré que, à notre déception, elle n’a jamais pu retourner dans son appartement – ou même vivre avec une assistance. Elle avait été alitée trop longtemps et avait tant perdu de ses capacités qu’elle ne pouvait plus partir du Centre. Ceci représente un grand danger pour les aînés et c’est pourquoi il est important de remédier rapidement aux interactions médicamenteuses et aux effets indésirables. Ça peut affecter la façon dont ils peuvent vivre leur reste de leur vie.
Maman est décédée quatre ans plus tard (octobre 2008). Elle a transmis sa philosophie de vie terre-à-terre : « la religion c’est réellement la façon dont tu traites les autres personnes ». Ses dernières semaines ont été remarquables et mouvementées : elle avait l’intention de transmettre à sa famille ce qu’elle avait appris sur la vie et nous dire à quel point elle nous aimait. Nous n’aurions jamais reçu ce dernier cadeau si elle était décédée dans son état désillusionné causé par les médicaments. Elle serait morte sans même nous avoir reconnus.
Les longues heures passées avec Maman nous ont permis d’observer, de poser des questions et d’écouter. Nous avons comparé ses symptômes avec les effets indésirables des médicaments qu’elle prenait. Les médecins voient souvent les effets indésirables des médicaments comme une autre « condition » et plus de médicaments s’ensuivent – c'est la « cascade de médicamenteuse ». Nous avons fait tout notre possible par amour et respect. Les professionnels de la santé n’ont pas le temps pour ça et ils ne connaissent pas l’état initial du patient, particulièrement s’il est admis pour la première fois. Ils ne peuvent donc pas détecter les changements causés par de nouveaux médicaments. La rétroaction de la famille est essentielle pour que les patients soient en sécurité et se sentent bien. Médecins – veuillez demander plutôt que d’ignorer, de mépriser ou même de vous en indigner. Demandez activement pour une rétroaction de la famille!
Nous avons vu tant d’isolation et de solitude chez de nombreux résidents. Il y a peu de raisons de rester sain. Des femmes menues en chaise roulante s’approchent de vous dans le corridor et murmurent « aidez-moi, aidez-moi! » Le bruit des télévisions résonne dans les corridors. Plusieurs dorment ou regardent dans le vide. L’isolation et l’ennui troublent les frontières entre le sommeil, le rêve et l’éveil. Il est étrange à quel point les opposés coexistent ici et créent le pire des deux mondes : isolation et manque de vie privée – anxiété et ennui.
Parlez à vos enfants et votre médecin de famille; dites-leur comment vous voulez que soit votre vie d’aîné. Est-ce que ce qu’on appelle « l’épidémie » de maladie d’Alzheimer et de démence peut être, à certains degrés, un reflet de l’étendue et de l’augmentation de la sur-médication? Des études récentes révèlent un lien entre le risque augmenté de démence et les médicaments anticholinergiques courants. Soyez plus informés au sujet de ce que vous prenez et pourquoi vous les prenez, et soyez des défenseurs pour les aînés qui ne peuvent pas l’être pour eux-mêmes.
Johanna Trimble est une défenseure active des patients et des familles à Vancouver, Colombie-Britannique. Visitez son site web en cliquant ici (disponible en anglais seulement).